Kaskinomatasowin : prévention et sensibilisation en matière de violence sexuelle
Le programme d’intervention communautaire Kaskinomatasowin (transmettre par la culture) a pour objectif principal de prévenir les violences sexuelles des jeunes au sein des communautés autochtones atikamekw. Il se réalise par l’entremise d’une équipe de recherche et d’intervention de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et du Conseil de la Nation Atikamekw (CNA), notre principal partenaire autochtone.
Objectifs spécifiques :
Alice Échaquan, une intervenante communautaire en violence sexuelle déléguée par le CNA, fait partie intégrante de l’équipe de chercheurs et assure le leadership sur le terrain. Elle contribue notamment au recrutement des participant.es, à l’élaboration des canevas d’entretien, à l’animation de cercles de partage et des focus groupes, à l’approbation des résultats tirés de l’analyse des besoins, au plan d’intervention communautaire et au développement des réseaux de diffusion (mobilisation des connaissances).
DÉMARCHE DE COCONSTRUCTION ET RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES
De façon générale, l’exercice de coconstruction réalisé avec notre partenaire autochtone depuis les balbutiements du projet conduit vers des actions mieux harmonisées aux attentes des parents atikamekw et des intervenant.es. Plusieurs rencontres (sur numérique et en présentiel) ont servi à organiser la collecte de données, à partager les résultats préliminaires et à faire des choix quant aux besoins d’outils et de formation pour les parents et les intervenant.es.
La collecte de données pour réaliser l’analyse des besoins s’est déroulée entre septembre 2022 et décembre 2023. Au total, neuf entretiens semi-dirigés (de groupe et individuels) ont été conduits par Alice Échaquan. Celle-ci était assistée par les chercheuses et/ou par notre partenaire, Jimmy Simard, de l’organisme communautaire Emphase (voir plus loin dans les nouveautés résultant de l’analyse des besoins).
Une analyse préliminaire des entretiens permet de dégager TROIS PRINCIPAUX RÉSULTATS en lien avec les besoins des participant.es.
Résultat no 1 : Fort besoin de partager sur les expériences vécues avant de réfléchir sur l’avenir : prise en compte des chocs post-trauma.
Tenir compte des chocs post-trauma fut une évidence dès notre entrée sur le terrain. La plupart du temps, lors du premier contact, les personnes participantes ressentent davantage le besoin de partager sur des expériences passées que de penser à ce qui pourrait les aider à parler de sexualité avec leurs jeunes.
Actions réalisées en réponse à ce résultat :
b) Approche de sécurisation culturelle : Il est nécessaire de créer un lien de confiance avant d’aborder les différents aspects entourant la sexualité avec les membres de la communauté. Des personnes-ressources qualifiées qui connaissent bien la culture (et la langue Atikamekw pour certain.es) sont présentes pendant et après chaque entretien (individuel ou en groupe). Ils sont disponibles pour offrir de l’écoute et des références à des services mieux adaptés au besoin.
Résultat no 2 : Tenir compte des hommes (pères) dans les formations destinées aux parents
Plusieurs intervenant.es de la santé sur le terrain ont révélé que les parents sont extrêmement difficiles à rejoindre lorsqu’il s’agit de parler d’éducation à la sexualité, et plus particulièrement les pères. Selon les mères et les aîné.es interrogé.es, l’éducation sexuelle est encore taboue, et lorsqu’elle est discutée en famille, ce rôle est plutôt relégué aux femmes. Or, selon notre partenaire, les hommes sont des acteurs importants à atteindre dans le plan d’intervention communautaire. Il est important de les impliquer à la démarche pour mieux comprendre leur désengagement dans l’éducation à la sexualité de leurs enfants, et aussi, de mieux connaitre leurs aspirations et leurs rêves d’avenir pour les futures générations.
Actions réalisées en réponse à ce résultat :
- Ajout d’un nouveau partenaire spécialisé auprès des hommes pour rejoindre les pères : organisme Emphase œuvrant pour les hommes agressés sexuellement dans l’enfance;
- Ajout de cercles de partage avec des hommes pour mieux connaitre leur vécu. Jimmy Simard de l’organisme Emphase connait bien les milieux autochtones et contribue à créer de nouvelles connexions avec des pères. Il a coanimé deux cercles de partage dédiés aux hommes, en plus de réaliser des entrevues auprès d’ainés avec Alice;
- À venir : Cocontruction d’un outil vidéo pour sensibiliser à la réalité et aux rôles des pères dans l’éducation sexuelle des jeunes.
Pour faire suite à l’analyse des besoins plus spécifiques concernant les hommes, il nous a semblé porteur de produire une vidéo documentaire qui sensibilise toute la communauté sur leurs différentes réalités. Malheureusement, selon données recueillies, les hommes sont trop souvent stigmatisés comme des « agresseurs » ou « des personnes non aptes » à éduquer leurs enfants. Ces derniers désirent se sentir valorisés et devenir des « acteurs à part entière » en devenant de « bons modèles de vie saine ». Plusieurs mentionnent qu’ils aimeraient ne pas être considérés comme des « victimes » ou des « agresseurs ». Ils disent vouloir se reconnecter avec leur identité autochtone, faire un retour aux sources vers une vie davantage inspirée des traditions ancestrales.
Résultats no 3 : Former les parents sur le développement psychosexuel des 3 à 17 ans (ateliers d’habilités parentales)
Les mères et les grands-mères rencontrées ont besoin de mieux connaitre les différentes étapes du développement psychosexuel de leurs enfants pour se sentir plus à l’aise d’en parler. Plusieurs nomment les moyens visuels avec peu de mots comme étant mieux adaptés à leur culture.
Actions en cours et à réaliser en réponse à ce résultat (année 3) :
- Concevoir une ligne du temps sur le développement psychosexuel des jeunes 3 à 17 ans + avec des pictogrammes (images illustrant les mises en situation). Le contenu a été élaboré, il reste le « contenant » à élaborer pour le finaliser.
- Impliquer plus de personnes de la communauté à la démarche (valorisation des savoir-faire autochtones et de l’approche atikamekw).
- Réfléchir à l’idée d’utiliser des technologies pour former les parents – nous sommes à évaluer la possibilité de s’inspirer du programme Connected Parents (qui font partie du Knowledge Hub) – pour l’envoi en ligne et par textos.
Action(s) de réseautage et valorisation des savoirs autochtones
Alice Échaquan et deux autres collaboratrices atikamekw (Mélissa Coutu et Debbie Flamand) se sont jointes à la chargée de projet de l’UQAC pour assister au Centre de Connaissances de juin 2024 à Montréal. Celles-ci ont présenté leurs pratiques et savoir-faire autochtones. Elles ont fait ainsi valoir leurs approches et méthodes et ont pu mieux connaitre les moyens et les programmes déployés dans les autres milieux de pratique.
Les membres de la communauté de pratique :
Jacinthe Dion
Jacinthe Dion, Ph.D., est professeure titulaire en psychologie au Département des sciences de la santé de l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle est cotitulaire de la chaire de recherche VISAJ sur la VIe et la SAnté des Jeunes et membre du comité de direction du CRIPCAS (Centre de Recherche Interdisciplinaire sur les Problèmes Conjugaux et les Agressions Sexuelles). Dre Dion a dirigé plus d’une vingtaine de projets financés par les grands organismes subventionnaires et publié plus de 120 articles scientifiques et chapitres de livre. Son expérience en tant que psychologue clinicienne a fortement influencé son désir de se concentrer sur les forces et les capacités d’adaptation des jeunes et de leurs familles. Elle a aussi développé des approches collaboratives impliquant divers partenaires et communautés dans les processus de recherche, reconnaissant les forces uniques que chacun apporte aux projets réalisés. Ses travaux visent notamment à documenter les facteurs de risque et de protection reliés à l’adaptation psychosociale chez les victimes de violence sexuelle et à l’implantation de stratégies d’intervention et de prévention auprès des peuples autochtones.
Mireille Hebert
Je travaille à l’UQAC sur des projets de mobilisation des connaissances avec les communautés autochtones (Atikamekw et Innu) qui visent à prévenir les violences sexuelles vécues par les jeunes.
Je suis doctorante en sociologie urbaine à l’INRS (Institut National de la Recherche Scientifique) depuis 2018. J’ai fait une maitrise en communication sociale (psychosociologie) (2019) et un Bac en Administration des Affaires (2012) à l’UQAM.
Après ma carrière de documentariste vidéo (1991 à 2001), j’ai collaboré à la mise sur pied de plusieurs projets en mobilisation des connaissances à titre de chargée de projet (2001 à 2018). Ces projets étaient produits, entre autres, pour le compte du Service aux collectivités de l’UQAM (Université du Québec à Montréal), de Tables jeunesses intersectorielles et de groupes de femmes. Notamment, j’ai coordonné des équipes intersectorielles (chercheurs et praticiens) dans la mise sur pied de formations, de programmes de prévention et d’intervention psychosociale auprès de jeunes et de femmes vivant des situations spécifiques. Parmi ces situations figurent : l’affiliation des jeunes aux gangs de rue et des adolescentes à des réseaux d’exploitation sexuelle ; la violence amoureuse et sexuelle ; la valorisation des femmes aînées ; l’implication citoyenne et la violence domestique en communautés autochtones.